A propos d’Abel Robino

Abel Robino, le fléau

Vivre ici 
vivre ici ça jamais 
jamais jamais je ne m’y résoudrai
moi.
Olivier Cadiot. Roméo & Juliette IP.0.L, 1989, p. 16.


Et s’il est encore quelque chose d’infernal et de véritablement maudit dans ce temps, c’est de s’attarder artistiquement sur des formes, au lieu d’être comme des suppliciés que l’on brûle et qui font des signes sur leur bûcher.
Antonin Artaud. Le Théâtre et son Double, 1938


L’époque rythme frénétiquement une danse délétère de cobra hystérisé. Cet énervement morbide et halluciné n’est pas qu’un simulacre, un leurre (quand bien même on reconnaîtrait ici et là, des cruautés et des appétits anciens). Abel Robino sait ça parfaitement: le désarroi du présent qui dure. l’effondrement progressif mais généralisé d’à peu près tout, la vacuité théorique et critique, le nivellement chronique et vénéneux vers le bas, la prolifération d’une doxa mise en permanence sous contrôle serré et constamment polyperfusée, le mercantilisme consumériste acharné totalisant/totalitaire avec capitalisation immédiate sans appel ni frein, l’indifférence effarante aux guerres et aux misères, partout, l’appareil anxiolytique portatif devenu nécessaire aux esprits sans dogmes, l’aberration planétaire.

Abel Robino sait ça parfaitement, lui qui place son travail en déséquilibre instable, en précarité délibérée. C’est son sujet, son objet et sa visée : le non-définitif, l’accidentel, le provisoire, l’immédiat impromptu, l’inouï, l’incongru. Mais le tout revisité, réactivé, dynamisé sans cesse et sans cesse dynamité, parce qu’il a renoncé tant au renoncement qu’à toute forme d’abdication. Les épiphanies sont à ce prix, celui de l’éreintement. Et il y a de l’éreintement et des épiphanies dans la peinture de Robino A travailler des croûtes, des pourrissements, des écroulements, des marges, des fissures, des bords, à y tracer des lignes ambidextres, y disposer des couleurs non complémentaires, à mélanger les matières les plus diverses et les collages, multiplier les palimpsestes ou les drames instantanés, animé par une symbolique très autobiographique et des préoccupations historiques, politique et éthiques, il arrive à une sorte d’ascèses, d’essentiel dégagé de l’ordre esthétique, où le hasard (le destin ?) intervient, où le signe s’insurge toujours dans une polysémie presque tactile. Mangeur de couleurs et buveur de maté, Abel Robino, à sa manière, nous informe et nous prévient. Le reste est de notre ressort, pour lui, l’affaire est entendue. Le rôle culturel, social, civique du peintre, du tisseur africain, est mis à disposition collective. Regardez ce qui s’y passe. Rien que ça et pas moins que ça.
N.B. : Valère Novarina me rappelait il y a peu : « Abel, c’est le premier prénom ! «  Effectivement.
Dont acte.

Alain Bideau


Les arcs voltaïques d’Abel Robino

Réveillé, alerte, ces trames angoissantes, parfois treillis de Robino sont métalliques de rouges poignants que, comme la scène perpétuelle de la mémoire, ne disparaît, se transforme.
La monotonie n’existe. Mais la distraction non plus. L’énigme oui.
Ce sont des présences fantasmagoriques, ouvrent-entrouvrent l’imaginaire en établissant une communication intense avec des formes de représentation miniaturisées mais enlacées comme dans l’électricité par un conducteur aiguisé.

Le tout conduit à un monde encadré en dangereux équilibre. Pas toujours selon la proportion d’or. De temps en temps, pour contribuer à notre profond trouble : la confusion, la syllabe, parfois, la parole.
Femmes ou cerfs-volants qui ne se perdent pas dans le ciel mais qui pourchassent notre mal de vie et de vivre.
Robino traite ses toiles avec familiarité mais avec attention extrême, sans doute son éthique et son esthétique sont ainsi…
En commençant par la périphérie pour rendre évident le centre de la matière qui est la vie. Les couleurs sont le résultat des élections affectives évidentes de symbolisme précis. Rouge sang, igné, inutilement versé, bleu nostalgique des rêves inaccomplis. Couleurs socialisées, reçues.
Elles sont rédimées par notre voyage, le regard du regardeur. La distance entre l’œil et l’origine de l’exil. Points, fragments, courbes. De temps en temps le retour à la lettre.
Robino dit qu’un des ces jours transformera la cave, celle du cœur et de l’inconscient et peut être qu’au moyen d’un escalier interne, nous construira un mirador pour entrevoir les sentiments.
Attention à ses cartongraphies…
Elles nous dénudent, depuis leur « Ici nous vivons tenaces, avec cette exaltation, avec ces ombres, si proche du découragement ».

Luisa Futoransky