Florilèges

Je dessine comme mon grand-père, qui convoyait des troupeaux 
à travers la pampa, et dessinait sur le sol avec un bâton. J’ai ainsi réalisé un journal dessiné, en utilisant du thé, de la craie, de l’encre de Chine…


Quand j’étais gosse, en nous promenant sous un prunier, j’ai demandé à mon vieux pourquoi les prunes noires étaient rouges, et il m’a repondu : “Parce qu’elles sont encore vertes». Depuis cet instant, poésie et peinture demeurent pour moi intimement collées l’une à l’autre.


Quelqu’un a dit -je ne sais plus qui-
« Si je n’étais pas artiste, je serai assassin »
Je suis un artiste qui a les mains sales


Techniques pour conserver le fil du rasoir

Envelopper dans du papier de soie la lame d’un rasoir
Sans éveiller avec les mouvements le moindre air de suspicion
Et montrer au public un instrument dangereux comme tant d’autres,
Protégé de l’humidité de l’air avec ce type d’astuce délicate,
Avec pour seul but de ne pas laisser perdre
Un seul gramme d’exactitude à cet outil macabre.


Famille de passage

Entendu de mon grand-père paternel, calabrais de 96 ans: endormi sous le soleil sur sa chaise, quand on le réveillait, il répétait : j’étais de retour. Si on l’interrogeait en travaillant : che fai nono ?, il répondait : cosa passagiera.

Entendu de mon grand-père maternel, convoyeur de bétail dans la Pampa qui passait trois mois pour aller et trois mois pour retourner. Le peu de mots qu’il disait : J’y vais, et je retourne.

Cousin germain, voleur. Quand la famille lui a demandé pourquoi il avait commis ces délits successifs, il a répondu :  J’aime fuir.

Oncle anti-péroniste, exilé en Uruguay pour ne pas être loin de Buenos Aires, ne pas perdre l’habitude de boire du maté et se sentir à la campagne tout en habitant Montevideo.
Quand la famille l’a condamné en disant que son exil était un exil de cabotage, il a dit :  j’aurais pleuré autant si j’avais été en Alaska.

Peut être tout ceci justifie mon passage d’un tableau à l’autre, comme si un fait de sang me précédait, ma phobie pour la dictature du collage et ma passion pour la technique du posage ; mes éternels voyages, mes carnets d’esquisses durant les voyages : un parcours dans le parcours.

Je crois que seule l’action crée un nouvel espace, qu’il n’est pas possible de le voir avec les yeux fixes, mais du coin de l’œil et avec le même sentiment du funambule qui risque le vertige en regardant ainsi.

Pour moi, regarder en face c’est figer ; la réalité se voit en fuite.